La première forme d’open-space a vu le jour en Allemagne en 1950. Quickborner, un groupe de design, imagine le Bürolandschaft, ou bureau “paysager”. Ce nouvel aménagement résulte d’une volonté démocratique de la part des architectes et designers. Faire tomber les murs des bureaux était alors envisagé comme un moyen de libérer les travailleurs de leurs cases (physique et sociale). Les bureaux sont regroupés de façon organique et l’implantation répond à une étude précise des besoins de communication et d’échanges au sein des différents services de l’entreprise. Le concept est rapidement repris par des entreprises américaines et le plus souvent réduit à sa plus simple expression : des rangées de bureaux occupés par des cols blancs.
Les modèles d’open-spaces actuels, qui tendent à se généraliser dans les grandes entreprises françaises, proviennent des Etats-Unis et de Scandinavie. Présentés comme une façon de favoriser la communication, l’innovation et l’aplatissement de la pyramide managériale, ils offrent une diversité d’espaces collaboratifs de travail mais aussi de socialisation. Le salarié peut ainsi choisir parmi différentes configurations d’espaces pour travailler, collaborer, s’isoler, échanger.
De nombreuses études et rapports récents font néanmoins état du fait que les open-spaces génèrent finalement plus de mécontentement parmi leurs usagers qu’ils ne résolvent de problèmes. Parce qu’il ne suffit pas d’asseoir un comptable et un développeur web côte à côte pour qu’ils se parlent. Parce qu’une creative room et un aménagement mobilier agile ne génèrent pas automatiquement créativité et innovation. Parce que faire disparaître les cloisons du bureau du manager n’efface pas le lien hiérarchique avec son équipe. Parce que les USA ou la Scandinavie ont une culture du travail par les résultats (suggérant l’autonomie des travailleurs) alors que la France est dans une culture de travail par les moyens (suggérant le contrôle des travailleurs).
Cette crise sanitaire, qui a forcé les entreprises à placer leurs salariés en télétravail, est pour certains médias ou professionnels l’occasion de tirer des conclusions hâtives. On évoque un changement de paradigme, un passage de la volonté de réunir au besoin de distancier.
Si les open-space se sont multipliés, c’est avant tout pour une raison économique. En permettant de loger un plus grand nombre de travailleurs à surface égale, on économise des m2 et donc de l’argent. Les conditions actuelles de l’économie vont-elles permettre de se passer de ce type de gain financier ? C’est fort peu probable.
Par ailleurs, le protocole national de déconfinement pour les entreprises, publié par le gouvernement le 3 mai dernier, préconise une distance physique d’au moins 1 mètre, soit 4 mètres carrés par personne. Un open-space correctement conçu doit normalement permettre cette distanciation. Les espaces qui posent en réalité le plus de problèmes ne sont pas les postes de travail en soi (qu’ils soient dans un open-space ou un bureau fermé), mais les circulations telles que les ascenseurs et les couloirs, et les lieux de réunion physique : espace café, salle de réunion, etc.
S’il est possible de maintenir une partie des salariés en télétravail et de mettre en place une rotation concernant leur présence physique dans l’entreprise, c’est la solution idéale pour affronter ces prochaines semaines
La crise sanitaire n’est pas terminée. Le retour à la normale, s’il a lieu un jour, n’aura pas lieu avant plusieurs mois. Il convient donc bien sûr d’adapter les environnements de travail rapidement, avec des mesures temporaires.
Les pandémies précédentes de notre histoire n’ont jamais provoqué un changement sociétal brutal. Ainsi, il s’agit de prendre avec des pincettes les gros titres chroniquant la mort annoncée des open-spaces et l’avènement de la généralisation du télétravail. La réalité sera plus nuancée. En revanche, c’est l’occasion d’anticiper les nécessaires évolutions du monde du travail. Souhaitons-nous repartir dans un « business as usual » en appliquant le management traditionnel fondé sur le contrôle ?
La crise actuelle nous amène à repenser nos manières d’occuper l’espace et d’interagir avec notre environnement, deux grands sujets de l’architecture et du design. L’aspect social de la discipline est mis en évidence. Les entreprises qui vivront le mieux l’après crise sont indéniablement celles qui sauront questionner leur fonctionnement, leurs pratiques managériales et l’usage de leurs espaces de travail.
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Le film documentaire Workplace de Gary Hustwit. Workplace (2016, 64 minutes) est un projet mené dans le cadre de la Biennale d’architecture de Venise en 2016 sur le passé, le présent et l’avenir du bureau. Il examine la réflexion, l’innovation et l’expérimentation nécessaires à la création de la prochaine évolution de ce que pourrait être le bureau. Workplace suit la conception et la construction du siège de l’agence numérique R/GA à New York (en collaboration avec les architectes Foster + Partners) qui ont expérimenté comment les espaces physiques et numériques peuvent mieux interagir.
Nikil Saval est un écrivain et journaliste américain, co-éditeur du magazine n+1. Son livre Cubed: A Secret History of the Workplace, a été publié en 2014 et il a été acclamé par la critique pour la profondeur et la richesse de son analyse. Le livre offre une vue d’ensemble sur notre espace de travail moderne ainsi que toutes les controverses qui l’entourent. Il peut aider les professionnels des RH à comprendre la signification du design et de l’espace de travail et à adopter un nouveau point de vue sur les questions habituelles concernant la manière dont l’organisation du bureau influe sur le travail et les performances.